S'évader

 

La   lettre

 

Tu es le seul être au monde qui m'envoie encore des lettres manuscrites.
C'est facile, je ne bouge pas.
Je suis un centre inamovible quand tu n'arrêtes pas de voyager autour de la Terre.
Aussi, je suis condamné à ne t'envoyer que des mails, brefs messages comme des spots de télévision, des pointillés ou du morse dans ta vie.
Aujourd'hui je devance ta prochaine escale.
Prendre le temps de t'écrire, prendre le temps, qu'il soit beau ou orageux.
Tu me demandes si le confinement se passe bien pour moi.
Tu sais bien que oui.
Tu n'as de cesse de m'appeler le "Prisonnier dans sa prison dorée" , tu ne comprends pas ma vie  recluse tournée vers l'écriture et la méditation.
Tu penses encore que, aimer, souffrir, ne peuvent se dire vraiment.
Et que répondre, quand tu me dis « Trouver un asile, parce que écorché par la vie, fatigué des coups d'épaule pour se débarrasser de poids trop lourds, exprimer sa folie, chercher la convalescence, est une défaite » .
Écrire reste la dernière fenêtre.
Que fais-tu quand tu m'ouvres la tienne ?
Tu me dis « Prends le large, le long, ou le gros, mais va ! » .
Je t'entends.
Tu me dis que tu vois un soleil sur le chemin que tu ne connais pas mais qui existe.
Je t'entends.
Tu me dis encore, qu'il n'y a pas de pluie sur ton avenir, sinon comment le voir à travers le rideau compact des gouttes.
Je t'entends.
La pluie déclenche des désirs de refuge, il s'agit peut-être de choix, le dilemme est toujours là.
Mais tu me dis qu'il faut faire le mur, partir, même si parfois, toi, tu sens dans ton dos comme des tentacules de pieuvre qui veulent te retenir, et qu'alors tu pars subrepticement pour ne pas exciter affoler ou blesser cette pieuvre que d'autres appellent une communauté, un foyer.
Je t'entends.
Je t'accorde le grande évasion, liberté et découverte sont des amours naissants.
La vie est hors du refuge.
Mais revenir.
Trouver son refuge est encore plus important, car c'est là qu'on existe vraiment, face à soi-même.
Le refuge est la récompense de l'errance, du voyage.
Tu sais où me trouver.
Je t'attends mon amour.


Jean-Pierre C.

 

FUIR

 

Depuis qu’il voulait le faire sans jamais oser… Aujourd’hui il est prêt ! Religion, obéissance, administration, consommation, politesse, retenue, pudeur : allez oust !

Il arrache les barrières, il déchire le carcan, il rompt les sangles…  Ses poumons se dilatent, ses pieds décollent du sol, il s’envole, il quitte la terre, il rejoint enfin les espaces sans limite. Une tempête intergalactique l’emporte, il roule tout nu dans des gaz ionisés, il surfe sur le bord d’un trou noir, il explose avec une supernova, il s’enfonce dans des nuits éternelles et trouve un silence étrange. 

Il pense : « Le silence de l’Univers ». Il s’interroge : « L’Univers nous répondra-t-il un jour ? que nous arrêtions d’inventer des réponses à de fausses questions ; que nous sachions enfin ce que nous sommes… Nous. Nous ? Qu’est-ce que je suis, moi, dans ces espaces entre fureur et absence ? Petit tas de particules assemblées, issu des grands bouleversements de la matière, je ressens, je pense… Mais ici ? Seul, dans cette immensité trop chaude, trop froide, trop inerte, trop inhospitalière. Sur ma planète, il y a des corps, des visages, il y a des paroles : mots joyeux, mots tendres, mots libres parfois, mots d’Hommes, mots de nous ».

Il jette un dernier regard à ce ciel tellement rêvé, à ces longues traînées d’étoiles solitaires au sein de gigantesques nébuleuses, à ces milliards de galaxies que son regard ne pourra jamais toutes embrasser, ces centaines de milliards d’événements lumineux et assourdissants mais définitivement muets.

Apaisé, il vole sur la chevelure d’une comète qui le ramène vers sa planète prisonnière,  vers chez lui. 

Là, perché sur la cime des arbres brûlés, penché sur la carcasse d’un éléphant édenté, tanqué sur le goudron des autoroutes, nageant au-dessus d’une île noyée, entraîné par le tapis d’une usine de traitement des déchets, accroché à des minarets, à des clochers, dans le palais des trop riches, sur le toit des immeubles insalubres…

…il hurle, il crie l’espoir.

 

Hélène R.

 

LA PIERRE

 

Oh, toi que j'ai trouvée, roulée en boule, dans ce sable incandescent ! Dis moi quelles terribles épreuves t'ont réduite à cette pierre tannée et décapée ? Pourquoi ai-je compris tout de suite que tu y avais dissimulé ta dernière étincelle de vie ? Me voici agenouillée à ton chevet, posant sur ta peau lacérée un linge propre et humide. La tempête de sable t'a roulée de toutes parts mais je te sens entière et intacte. Je cherche ta bouche pour y verser un peu d'eau. Dis-moi quels remparts as-tu dressés pour résister ? Tu es jeune et forte tes muscles en témoignent. Tu tiens le cheval impétueux de ta vie dans tes fragiles poignets. Toutes les marques de ta faiblesse me disent ton courage et ta détermination. Quand enfin j'ai pu extraire tes mots de la pierre ai-je bien reconstitué ton récit ? 

 

Tu es un fétu de paille emporté par l'ouragan. Des griffes innombrables s'acharnent sur ta peau. Elles y battent en cadence leur chant lugubre. Le monstre broie dans sa gueule tous  tes hurlements. Autour de toi règne une intensité sonore telle que tu n'entends plus tes propres cris.  De ton corps tu ne perçois qu'un amas de douleurs. Tu es privée de tes yeux, privée de tes oreilles. Ton enveloppe meurtrie est ta seule porte ouverte sur le monde. Tu t'y blottis toute entière.  Ce vaisseau de pacotille, tendu de soie et de peurs c'est bien toi ! Tous tes récepteurs se tournent vers l'intérieur. Tes yeux fermés te révèlent  un corps malmené, bousculé, heurté mais bien entier. Tu devines tes membres à la dérive, ballottés de toutes parts. Tu cherches les commandes de tes bras, de tes jambes, pas une ne t'obéit.Ta tête essaie de prendre le relais, en vain. Perdue, tu te crois perdue. La tempête t'emporte toujours plus loin. Ces cordes folles qui flottent dans les bourrasques sont bien à toi. Elles vont se briser. Un signal surgit du fin fond de tes entrailles. Tu suis son avancée d'un ligament à l'autre, d'un tendon au suivant. Tu ramasses une à une tes forces éparses pour ramener sur ta poitrine ces bras démesurément éparpillés. Tu t'accroches au-delà de ta volonté, au-delà de ta douleur, au-delà de ton courage. Tu racles une à une les secondes qui les arrachent à la tourmente. Les voilà enfin serrés contre ton cœur. La chaleur qui t'envahit te replonge dans la lutte. Tes jambes, toujours plus vastes, plus lourdes, plus tiraillées tournoient dans le tranchant des rafales. Vivre, tu veux vivre, tout ton corps part à l'assaut. Ces centaines de fils reliant la ramure de tes membres locomoteurs à leur tronc doivent être actionnés. Ton univers entier se met en branle. Vois comme ton cœur bat à tout rompre. Vois tes poumons ventiler puissamment. Vois tes artères alimenter tes muscles au pas de charge. Suis la course effrénée des inductions électriques dans tes nerfs. Centimètre par centimètre te voici en train de récupérer l'intégrité de ton corps. Tu ne trembles plus, tu ne souffres plus. Te voilà transformée en cette boule aussi dure qu'un diamant. L'ouragan peut se déchaîner, l'ouragan peut  tenter de te fracasser, tes organes vitaux sont enfouis bien à l'abri. Tu as concentré ton être vital dans des profondeurs inatteignables.

 

Il me faudra suivre bien des chemins, accumuler des connaissances nombreuses, explorer des territoires inconnus, regarder autrement, changer souvent de repères, repousser bien des limites,  mettre mon imagination à l’œuvre avant de pouvoir percer tous tes secrets et te ramener à la vie.

 

Marie-Sol M.S.

 

 

S’évader

 

Enfant il regardait le monde, tel qu’il lui était donné, le monde changeait avec les saisons pour d’obscures raisons. Il vivait parmi ces autres aux humeurs versatiles. 

Il ne comprit pas pourquoi cet ami si souriant et souvent présent ne viendrait plus jamais. Pourquoi ces gens étaient là, emmitouflés, assis, dans la cour, léproserie. Le monde. 

Avec l’âge sa capacité de regard gagnait en puissance et en intensité. Il se remplissait de  hasard, d’un concerto pour piano de Piotr Illich, d’une après-midi à ramasser de l’oseille sauvage, d’un poème, des habituels rendez-vous   du lycée, des copains, de la famille. 

Il suivit le chemin de pensée des autres, de Newton et de sa pomme, de Curie et se ses objets intangibles. Il s’emplit, petit à petit, du vide si cher à Zermelo.

Ce long apprentissage, quelque peu déstructuré le conduisit au fil des choix vers l’abstraction. Il termina son parcours alourdit d’un bagage de structures. Piotr Illich le hantait. Le verbe, l’écrit, le parler si peu en vogue alors, lui échappait totalement. 

Il regardait toujours le monde, de son infiniment petit à son infiniment grand. Son monde réel ou supposé, lourd fardeau. Petit à petit il apprit que l’évidence n’était pas une bonne amie, que la pensée commune n’était pas la bonne compagne. Petit à petit les fêlures devinrent valeurs. Fêlures, portes ouvertes vers l’ailleurs, vers l’autre soi, autrement. 

Fêlures . Il prit goût à leurs invitations. La poésie comme rupture du verbe, comme rupture de la pensée. L’absurde comme sens. La peinture orientale qui contient son vide-ailleurs. 

La fêlure dans l’espace, ouvrant le voyage, l’ailleurs, l’autre diffère, impensé, inconnu. Je ne suis plus rien, livré à cette différence, mes mots sans pouvoir. La fêlure dans le lieu, regarder cette fleur nouvelle dans le jardin, s’échapper du regard de l’autre, de ses mots habitudes. 

Ce corps, immobile de son poids, de sa taille. Cet esprit libre de ses mots, de ses non-dits, libre de regarder ou ignorer, d’être ici ou ailleurs, être demain ou dans le passé. Ce corps augmenté d’une voiture, d’un avion, corps dans la lenteur de l’instant. Esprit augmenté de vos lectures, de mes lectures, mots épargnés, mots nouveaux. 

Le corps est un arbre dominé par ses racines.

Toi ,Cho, lointaine, qui dans ta solitude voulait écrire un poème avant de disparaitre, toi qui ouvrit tes yeux, tes sens pour trouver ce chemin de poésie, je t’aime. J’ai longtemps marché, couru de fêlure en fêlure. Parfois dans ce petit village d’une ile bretonne à m’immerger dans une nouvelle vie. Parfois jetant couleurs sur une toile. Parfois apprenant une langue pour penser autrement. Parfois me livrant épuisé à l’autre. Courir indéfiniment, ne laissant jamais le repère s’installer. 

Tu es la, tranquille, intranquille, mais jouant de ton monde avec conscience. Tu es la m’évadant de mes évasions, me donnant relâche. La fraîcheur du matin parfois plutôt que ce piano, 4 minutes. Les oiseaux tôt le matin, besogneux, esthètes. Rougequeue découvert. Rose odorante. Tu es la, univers clos, en construction, humanité. Derrière la clôture, les autres. Tu es là. L’évasion serait-elle un jardin clos ?

Tu es là, me protégeant de l’infini. Je me réveille doucement, solitaire, j’aime, premiers pas, pensées posées sur le jour naissant, glissant le regard d’un cardinal à l’autre. Vent généreux, ami me parlant du monde. Vent sur mon visage, inconfort, lutte, désir. Vent musique. Piotr Illich aimait il le vent ? Witold et ses adolescents. Sylvie et ses odeurs de framboise. Fêlures inexplorées.

S’évader, toujours, aller ailleurs, penser ailleurs, voir ailleurs, entendre ailleurs. Oublier l’harmonie classique, musique sérielle, casser le cadre lentement bâti de la musique sérielle pour aller au piano-corps, en dehors de la musique mais avec la musique. 

Les mots, habillés en fête foraine dansent dans la nuit. Les mots désordres, s’évadent du sens, la respiration me gonfle depuis longtemps disait Christian, vais-je éclater ? Les mots me traversent sans cesse, du vent ? irai-je avec eux ? danser avec eux ? jouer avec eux ? 

Et toi Michel,Tu es là, toi le corps cassé d’une vie d’errance. Toi qui a parcouru le monde du Mexique au Pérou, cuisinier ici ou ailleurs, revenu au chevet de ton monde originel. Tu es là t’occupant des autres, banque alimentaire. Ton retour fut il évasion ?

Et toi, Lola, Je t’ai fui souvent, retrouvée, oubliée, je t’ai écrit, je t’ai pensée, toujours, indéfiniment dans ton absence, comment s’évader de l’absence ? l’oubli est-il évasion ? je reviens inlassablement.

Le 28ème mort était-il  parfait ?

Fêlure, cassure, morsure, évasion.

S’évader

 

Pierre L.

 

La grande évasion


la prison
ni porte ni fenêtre
le noir absolu, tu ne vois rien, tu n’entends rien, aucune odeur, tes mains tâtent les parois, le sol, tu as même posé la langue précautionneusement une seconde
où te trouves-tu ?

tu commences à gratter quelque part, c’est compact sous tes doigts mais pas comme de la pierre, une sorte d’argile ?
l’imagination s’emballe, creuser, creuser, creuser jusqu’à pouvoir sortir,
s’échapper, s’évader
rien n’est impossible 
tu as du temps, beaucoup de temps, tu en es sûr
tu es seul mais tant d’autres t’habitent, ils t’animent, te poussent, te soutiennent, tu es partie d’une organisation secrète, atome d’un grand corps vivant, en révolte, mû par un but, le but ultime
liberté
creuser, creuser, encore et encore, pris dans un rêve de tunnel, voir la faible lumière là-bas, s’enfuir loin de ce trou vers l’inconnu, prendre le risque d’aller quelque part
levant la tête vers le ciel, tu découvres émerveillé un arc immense, tu suivras ses couleurs jusqu’à l’avenir rêvé, espéré, imaginé
tu ouvriras un livre dont toutes les pages sont vierges, d’une blancheur éblouissante
violet indigo bleu vert jaune orange rouge
v i b . . . .
tout vibre
tu as laissé derrière toi le noir, l’emprisonnement, la terreur
tu avances en confiance vers l’inconnu, la vie

pourquoi avoir peur ?

tu respires, tu cries, tu souris, tu ris aux éclats, tu cours, sautes et danses de joie, de force, d’amour

les portes de ton rêve s’ouvrent immenses sur un autre monde

 

Roselyne K.

 

Dans ce moment où tout est presque calme.


Dans ce moment tout est calme, bien qu'on entende le bruit d'une masse contre un mur au loin.  Le chat dort encore. Il ne se réveillera que pour s'alimenter.
As tu bien dormi, te sens tu reposée ? 
Je sais que tu n'apprécies guère les nuances entre deux du ciel d'aujourd'hui.
Il ne fait pas vraiment doux . Tu devrais enfiler mieux ton gilet.
Te rappelles tu  quand tu écoutais les poèmes de Fernando Pessoa chantés par Bevinda ?
Sans en connaître la langue tu disais que tu étais transportée malgré toi vers des couleurs, des rues, des immeubles, des odeurs et que tu rencontrais des vies imaginaires.
Tu voyais l'image de sa silhouette quand tu lisais le gardeur de troupeaux. 
Tu étais face  à lui sur la place du café Abrasileira.
Tu étais saisie dans son histoire et ses multitudes littéraires.
Elles se sont déployées jusqu'à la finitude de son existence. Elles poursuivent leurs vies dans tes lectures. 
Je crois que depuis toujours tu te souviens mieux des mélodies, très peu des poèmes et des paroles.
C'est étonnant que la musique soit pour toi plus forte que le texte, comme si les sonorités étaient des mots où des voyages glissés dans les interstices.
Les images s'inversent. Une longue vue pointée vers des microcosmes sonores les saisit. 
Pourrais tu écrire l'évasion sans évoquer la musique ?
Tu écoutes Pachelbel et tu observes le ciel. Tes yeux sont en larmes.
"C'est infini.
A chaque moment, le temps n'existe plus. Il n'est pas question de croire non plus.
Être suffit.
Recentrer son âme vers le corps, se laisser happer par le prisme d'un instant.
Voilà le secret."  écrivais tu.
Comme quand nous randonnions et partions vers les sommets .
Tu t'en souviens, j'étais essoufflée quand j'essayais de te suivre. J'avançais difficilement .
Je sentais que toi, tu te libérais. 
Le paysage changeait,  on ne voyait plus le point de départ ; nous avancions, encore. 
Le lac était tout prêt.
Regarde, deux colombes se posent sur la véranda.
Vois comme elles se posent doucement. 
Je ne veux pas les effrayer. J'essaie de faire le moins de bruit possible.
Je ne les vois plus. Elles sont pourtant là. 
Parle moi à voix basse. 
Je marche sur la pointe des pieds, je me rapproche.
Regarde, elles repartent, aussi légèrement qu'elles sont arrivées.
Peut être qu'elles reviendront.
      Dehors, le bruit de masse s'est arrêté .


Claude R

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Grayscale © 2014 -  Hébergé par Overblog