Samedi 11 septembre 2021 : De nouveaux horizons

De nouveaux horizons

Atelier d'écriture exceptionnel du samedi 11 septembre 2021

 

 

Dans les palabres des arbres et le murmure vert des vignes

une parenthèse d'écriture inaugure la saison neuve

 

Des hôtes accueillants, chaleureux,

un très beau lieu de calme et de verdure

un temps suspendu entre passé, présent et futur

 

et voilà des textes éclos de la terre, du lien, de témoignages vécus,

des inspirations de Claudine, Annie, Jean-Pierre, Nathalie, Anne-Marie, Marie-Sol, Michèle

et de toute la nature environnante

 

Je vous laisse déguster ci-après les fruits multiples

de cet atelier d'écriture exceptionnel du samedi 11 septembre 2021

à La Roubinette...

 

Anne

 

   © Dessin : Claudine Laurent                    

 

PS : Merci à Laetitia et à François de nous avoir ouvert grand leur porte de verdure,

merci à François qui à enclenché notre atelier avec son témoignage sur son "retour à la terre"

et merci à leurs supers enfants, vifs, joyeux, présents, à l'écoute...

 

 

Toutes les informations sur les ateliers de la saison 2021-2022

à retrouver en suivant ce lien :

https://appelart.wixsite.com/appelartcompagnie/saison-2021-2022

 

 

De nouveaux horizons

 

 

Être et Agir


Agir, Inventer, Transformer.
Impossible de rester sourde et aveugle aux évolutions terrifiantes et évidentes qui s’annoncent pour notre planete
Quel avenir est promis au vivant ?


J’enrage,
J’étouffe ,
Il me faut quitter une culpabilité, boulet à ma cheville, qui freine mon avancée et la portée de ma parole.
Non pas que je me dédouane de toute responsabilité.
Je ne cache pas l’affolante insouciance de ma génération.
Les sixties comblées, l’abondance voire la surabondance, l’ignorance de ce qui était déjà pourtant visible et audible.
Mais je dénonce les détournements de l’information, les vérités étouffées par nos gouvernements, les soumissions aux lobbys.
Je hurle les dérives des profits, le démon de la toute puissance, la négation du vivant, de l’équité, le non respect des richesses naturelles, notre bien commun. 
J’exècre le cynisme du pouvoir, de ces castes auto proclamées supérieures.
Pillage des milieux naturels, industries polluantes, mépris des droits de l’homme, surproduction agricole menant au gaspillage et à l’intoxication des sols 
Abominables famines, engloutissement dans la misère qui seraientparfaitement évitables par la volonté humaine
J’ai honte.
Siècle du savoir,
Ere de la circulation de l’information,
Epoque des moyens d’action colossaux.
Pourquoi l’humain devient si rapidement individualiste et esclave de son égo, sanguinaire avide de richesse ?


L’enfance, éloignée certes, mais pas tant, m’avait posée dans un monde qui paraissait cohérent.
J’ai gouté à tant de plaisirs simples cueillis dans la nature.
Mordre dans la suavité d’une figue murie au soleil,
Jouer de longues après midi au bord d’une mare, organisant des compétitions de têtards et bâtissant d’éphémères embarcations fleuries que je laissais dériver.
Je suis donc furieuse de l’utilisation biaisée de tout ce que la science est maintenant capable de nous enseigner et des coupables omissions qui mettent en danger la planète entière.
Heureusement, les modèles changent.
Les jeunes générations se lèvent et se mettent en route vers plus de cohérence et une sensibilité constructive pour le monde qui sera le leur.


La tache ne sera pas aisée,
Il faut faire face au dérèglement climatique – urgence absolue – 
Aborder les conséquences politiques, économiques.
Qui a appris à gérer les flux migratoires, à appréhender une pandémie, à juguler une famine, à endiguer des radicalismes meurtriers , à inverser une pollution dévastatrice..


Choisir nos gouvernements sera comme jamais une responsabilité citoyenne qui engagera le futur de la planète.
Quitter nos peurs de manquer, nos craintes du changement.
Renoncer à l’inquiétude de voir s’évanouir les entre-soi d’une poignée de gens élitiste.
Moi, j’ai envie de rassurer notre descendance,
De leur dire qu’ils ont raison de ne plus vouloir subir des diktats qui ont fait des ravages,
Qu’ils ont , simplement parce qu’ils appartiennent à l’humanité, raison de faire entendre leur voix,
Que la société qu’ils inventent ne peut être qu’une réussite avec plus de fraternité, de partage, de sobriété, d’idéaux rafraichis, 


J’ai envie de prendre par la main l’enfant que je fus.
Lui laisser sa place et l’encourager à remettre en question les décennies vécues
Et surtout ne pas lâcher la main des enfants que j’ai fait naitre 
Et assurer qu’il est n’est pas possible d’avancer et de bâtir sans le respect de soi et de l’autre.
Lui dire qu’ils savent tout, qu’ils peuvent tout
Tout majestueux et minuscules qu’ils sont.

 

Michèle A.

 

 

Transition

 

Des glycine mauves et odorantes ont bercé les narines et les regards de mon enfance, pointillées la nuit de lucioles virevoltantes.
Le figuier du jardin de mes voisins distillait ses saveurs poivrées.
Le chat de gouttière d’autres voisins se prêtait à de longues caresses.
A deux pas mer et galets émoustillaient mes pieds, iodaient mon corps vivifié.
Tous mes sens s’épanouissaient. 
Le vitrier ambulant, ses verres sur le dos, passait encore avec son cri d’appel à deux tons (« Oh l’vitrier »), le glacier livrait encore ses parallélépipèdes congelés pour notre glacière, mon père descendait encore à la cave charger des boulets de coke oblongues pour le calorifère.


J’ai grandi dans un quotidien paisible, manuel, répétitif, rassurant.


Et puis j’ai vu changer le monde, la télévision apparaître, se colorer, se diversifier ; le minitel faciliter les communications ; les ordinateurs perdre en taille et gagner en précision. Je croyais au progrès…
Il m’arrivait de plus en plus au fil des ans de lire dans des articles éclairés que le monde était menacé, que nos progrès techniques polluaient la planète, qu’il fallait y remédier et réagir avant de lourdes conséquences climatiques. Je m’assombrissais. Mais les gouvernements de tous pays continuaient sans vergogne leur course au profit.
Le vrai fléau imprévu mais durable fut l’arrivée fulgurante, massive, néfaste, destructrice, des réseaux sociaux, bourrés d’amis fictifs et de fausses infos que tous ne savent pas démystifier.
Les statistiques et prévisions sur l’érosion fatale de notre environnement se sont faites plus pressantes. Parallèles à une montée de la violence envahissante, angoissante.


Comment réagir, comment envisager un monde meilleur, si nos présumés responsables sont en fait en plein aveuglement ??
Certes de nombreuses actions ponctuelles peuvent être encourageantes, de jeunes couples réactifs tentent de relancer, rénover l’agriculture, ou ramener l’élevage à des normes familiales ; des actions de solidarité, de coopération se multiplient dont quelques media se font l’écho.


J’essaie dans mon nid d’être le colibri, mais parfois je perds mes plumes, mon gosier se noue et ne peut que siffler un requiem pour la planète.
Alors je rêve à un monde ultérieur revenu à la raison. Partout des fleurs, des arbres, des oiseaux, de l’eau qui court. Dans le ciel un aéronef silencieux assure les longs transports. Dans les rues circulent vélos et pédalos urbains. Les gens se saluent en souriant. On n’a pas pu détruire tous les immeubles mais leurs toits aplanis et recouverts de bonne terre accueillent les potagers fertiles des habitants.
Disparue, je me retrouve dans le tronc d’un bouleau argenté si faussement fragile ; je frissonne au vent ; j’ondule sous la brise ; le soleil me caresse.
J’ai laissé, pour ce monde apaisé, à ma famille, à mes amis, des traces sereines de mon passage, dessins, contes, airs de guitare.


J’aimerais qu’il en soit ainsi. J’aimerais tant…

 

Claudine L.

 

 

TRANSITIONS

 

Le jardin de l’enfance était peuplé de champs de spaghetti, de cabanes de roseaux, de raisin italien, de bâtons de réglisse, de cerisiers poteaux indiens et de capucines. Tous n’était que moelleux, douceur, musique, liberté. L’eau s’écoulait tranquillement, les animaux extraordinaires y relâchaient quelques bulles, le chien curieux et le chat intrépide attrapaient les figues nourricières. Le peuplier, bercé par le vent, en témoignait.

 

Mais les non-dits ont été révélés, la vérité s’est dévoilée ; la conspiration humaine a transformé l’atmosphère. La colline du passé n’est plus verte, elle n’est plus que béton, profit, tristesse. La source est devenue roubine, puis égout, bafouant le don de la nature, sclérosant la planète.

 

Le passé n’était qu’illusion.
Le présent n’est que destruction.
L’avenir sera renouveau.

 

Une porte s’ouvrira sur la beauté, le soleil sera éblouissant, les hommes s’embrasseront, les feuilles des arbres iront au bal pour se mêler aux danses des humains. La nature sera exubérante, chantante, odorante, elle donnera le rythme. L’égout redeviendra eau claire et irriguera la vie.


Annie B.

 

 

Tout petit la planète  


Pour ne plus être au milieu de nulle part, Johanna avait décidé d'aller vivre dans une grande ville, précisément là où ses ancêtres avaient pris pied, là où « l'avenir de la planète se décide » , se disait-elle, elle devait y découvrir un non-avenir.
En tout cas, elle voulait voir l'abondance de près, et quelle abondance dans les villes !
Quelle en était la véritable qualité, ou la nocivité orgueilleuse ? Johanna ne s'était pas posé la question, elle était partie.
La crise climatique était là, déjà, génocidaire, mais cachée par les bons samaritains du capitalisme.
Johanna vivait d'illusions et de désillusions.
Comme toutes les jeunes filles, elle cherchait l'amour.
Chaque matin, dans un paquet de cartes de tarots, posé dans l'entrée de l'appartement avec ses clés et son sac à mains, elle tirait une carte.
Elle aimait celle de la Roue de la Fortune, celle du Monde aussi, celle du Fou la faisait sourire, celle de l'Amoureux lui donnait des frissons et de l'espoir.

 

Parfois elle observait la ville, elle percevait alors de l'épuisement dans sa richesse : quoi ? Tout ce chemin fait par les migrants, pour en arriver là et bâtir ce summum de l'empilement et de la pollution ?
Johanna voyait les étages de son gratte-ciel comme des strates habitées par ses ancêtres, elle-même vivant tout en haut.
Mais elle s'y trouvait très seule.
Si elle devait imaginer un nouveau monde, autre que celui qui avait été bâti ici et tant admiré par l'ancien monde, elle savait qu'il faudrait tout raser et revenir à la terre.
La bonne hauteur a toujours été quand les pieds touchent bien par terre.
De même, boire, manger, se soigner, bien vieillir ne devrait pas être soumis à la rentabilité ni à la spéculation. 

 

Désespérant de l'amour, ou d'un amour véritable, Johanna fantasmait un retour chez ses parents, elle rêvait de retrouver l'arbre dans lequel elle s'allongeait, enfant, sur une fourche que son père avait judicieusement taillée, et où elle imaginait sa vie future, l'esprit au bord du sommeil, bercée par le vent dans la ramure.
Un fantasme où elle leur avouait ce qu'elle avait compris de la vie, ce qu'elle ne voulait plus, et ce qu'il fallait pour vivre mieux.
C'était sûr, elle ferait ce voyage du retour.
C'est dans cet esprit que Johanna était sortie ce matin.
Le ciel au dessus de la ville, pour une fois, était bleu et translucide, le temps était doux, c'était une belle journée de Septembre.
Empoignant son sac et claquant la porte elle était sortie, ne sachant pas que des frelons de métal viendraient se nicher violemment dans ces nouvelles vignes du Seigneur de verre et de béton qu'était Manhattan.
Ah oui, ce matin, la carte que Johanna avait tirée, c'était celle de la Maison-Dieu, une tour foudroyée y est représentée.

 

Jean-Pierre C.

 

 

Manifeste à l’espoir

 

Souvenirs de mon enfance, moi petite citadine entourée de pierres et de béton…
La liberté, liberté de courir dans les rues de Paris, liberté d’écouter la musique de la fanfare qui envahissait notre rue chaque dimanche, d’aller chaque jour au square admirer les couleurs des saisons. Liberté, bonheur de rencontrer les gens qui souriaient nous disaient  »bonjour », nous reconnaissaient… Citadine mais si proche de la nature que nous offrait cette grande ville avec ses parcs où nous ramassions les marrons, ses marchés des quatre saisons et ses dames aux fleurs. 
Puis vint la cité, qui a jaillit  autour de rien, autour du passé avec ses buttes de terre, terrain de nos jeux, sa ferme où nous remplissions nos bottes d’eau et de boue, son seringua que nous cueillions pour cuisiner des beignets : enfants des villes, nous avions besoin comme les autres de cette nature exploratoire et enrichissante à souhaits pour nous construire et grandir.


J’ai grandi comme vous, au milieu d’une société de consommation où on nous disait que l’argent fait le bonheur.
De là, repli sur soi, sur ses propres soi-disant besoins de confort et d’abondance, de propriété et d’absence d’humanité.
Et pourtant, des yeux s’ouvrent, des gens interpellent, des mains se tendent encore timides mais chaque jour plus nombreuses à réclamer le retour à l’entraide, au bonheur, au respect de la nature, à la simplicité et à l’amitié.
Rêvons : notre nouveau monde sera solidaire. Les nouvelles constructions seront vertes… et ouvertes. 
Les frontières seront abolies et c’est à travers une vue d’ensemble des terres et de la richesse culturelle de chaque peuple que nous tirerons partie, sainement, de ce que la terre nous propose de partager  afin de créer notre paradis. Respectons-nous et respectons ce qui nous est offert ! 


Idéaliste je suis, et chaque jour j’en côtoie : un nouveau monde germe déjà dans les ramures de belles têtes aux yeux éclairés par des rayons qui irradient le cœur de tous. L’espoir d’un monde meilleur est présent, osons nous ouvrir – ouvrir nos portes, ouvrir notre âme, ouvrir notre cœur et nos yeux à cette belle liberté ensemble d’exister.


PS : Merci à François et Laetitia qui nous donnent une belle leçon d’espoir que tout peut changer.


Nathalie D.

 

 

 

IL EST TEMPS

 

Il y avait
Les bras blancs de ma mère disparaissant dans le vert sombre et luisant des ronces. Mûres noires et charnues et nos lèvres violettes.
L’eau si fraiche de la fontaine qui jaillissait en cascades sur nos doigts écartés, sur nos nuques halées et brûlantes de soleil. Nous la buvions goulûment dans nos mains serrées en calice.
Les roses écarlates et vaillantes du jardin qui couronnaient notre allée de gravier d’un halo coloré et parfumé. O que la banlieue était belle, alors !  
Noire, habitée, l’eau du bassin du presbytère, observatoire vivant d’une diversité mystérieuse nourrie de mon imagination enfantine. Des après-midi sans fin.
Et là- bas, on pouvait enfin danser joyeusement, furieusement pour remercier : les pluies abondantes et régulières, les champs verts et prometteurs et l’assurance des greniers remplis de mil, de mais et d’arachides pour l’année à venir.

 

Maintenant
Nous ne grimperons plus jusqu’à la grotte d’où surgissait la source ample et furieuse. Elle est emprisonnée. On y accède par un chemin bitumé et ne la contemple que de loin, derrière des barrières de fer, assis sur des bancs de béton.
Il y a des roses toute l’année chez le fleuriste, belles et inodores. Dans mon vase, elles se recroquevillent et tombent sans s’épanouir.
Là- bas, où est passée la saison des pluies, trop tôt, trop tard, diluvienne ou diluée ? Danseront-ils ? Tant d’incertitudes ! Les jeunes désertent le village et rejoignent sur les collines de pierre, les orpailleurs sans boussole. Maigres récoltes en vue. Non, ils ne dansent plus.

Voitures, avions, trains, vivre de plus en plus vite. Le temps est devenu notre ennemi alors nous courrons, tête baissée, sans renoncer à rien.

 

Il faudra 
Se retrouver nu, dépouillé et riche.
Ne plus avoir peur et comprendre pour agir.
Se transformer pour transformer le monde ? Belle déclaration mais que de renoncements et d’aveux de faiblesse. Quel salvateur et douloureux programme.
Force et courage, mes amis de là- bas. Bien sûr, nous sommes solidaires mais comment ? Je sais vos combats et votre détermination pour que votre terre redevienne nourricière loin de toute sorte de malédiction. Oui, nous danserons ensemble à nouveau. 
Transmettre aux enfants, quoi ?
Les eaux sauvages, 
Les champs et les bois aux portes de la ville
Le potager banlieusard de mon père 
Et les cieux, l’air vif, les étoiles et le parfum des roses.    


Anne- Marie B.

 

 

DE BULLE EN BULLE

 

J'ai comme une impression bizarre, je ne sais plus où je suis ! J'ai des images de lieux plein les poches mais je ne retrouve plus mes poches. 
J'ai aussi perdu ma montre.
Ta montre ? Il y a longtemps que tu ne l'as plus ! 
Mais ce n'est pas de cela que je vous parle, c'est de toutes les montres... 
Je crois que j'ai perdu le temps. 
Tu racontes n'importe quoi. Le temps est là, partout, tout le temps. Tu as juste perdu le fil, rattrape le et cesse de tourner en rond !
Vous avez raison, je vois enfin ce fil. 
Comme il est frêle, à la limite du visible mais je le reconnais, c'est mon fil !

 

Je suis un humain, je suis une femme, je suis une enfant, je suis un acte d'amour de mes parents. Ma mère en avait tant rêvé ! Chacun d'eux vient de me léguer une de ses moitiés pour créer la cellule originelle de mon être. Une frénésie de vie l'a démultipliée jusqu'à aboutir à ce bébé palpitant qui veut sortir, alors qu'un hiver cinglant  fige le monde et que personne de compétent n'est là pour l'aider.


C'est dans cette maisonnette gentiment alignée avec ses compagnes à la sortie de la cité, que j'ai poussé mon premier cri. Mon père m'a fait découvrir tous les recoins de son jardinet. Il m'a nommé toutes les plantes qui y poussaient. Avec qu'elle fierté il a conduit mes premiers pas dans le parc de cette capitale qu'il aimait tant ! Juchée sur ses épaules de géant, je frôlais, du bout des doigts, les feuilles de ces mastodontes qu'on appelle arbres. Je croyais dominer le monde, du haut de ce belvédère, tandis que j'observais, mi-figue mi-raisin, le dernier ours capturé dans nos belles forêts. 
Mais j'ignorais tout des dimensions réelles de mon univers ! Ce fut ma mère qui me les révéla. J'avais grandi, je jouais avec mon petit frère, tandis qu'elle étendait avec ses voisines, ses grands draps blancs sur l'herbe verte, derrière notre immeuble. Elle nous expliqua alors qu'une grande aventure nous attendait, nous allions rendre visite à nos grands parents maternels. 
Encombrés de tous nos paquets, il fallut prendre plusieurs bus pour enfin atteindre une rivière où nous montâmes en barque. L'eau, cette inconnue m'entourait, claire et sombre, silencieuse et claironnante autour des rames. J'étais fascinée, le ciel tout entier venait de s'y engouffrer.


Puis je découvris un animal puissant et énorme, le mulet de mon oncle venu à notre rescousse. Toutes nos affaires disparurent dans ses grands paniers et mon frère fut hissé par-dessus, moi je n'avais droit qu'au soutien de sa queue. J'eus très peur de m'y accrocher mais la raideur de la montée m'eut vite convaincue de son utilité. Nous arrivâmes épuisés dans un petit hameau perché à flanc de montagne. Le paysage était éblouissant, des courbes verdoyantes s'étalaient à perte de vue. De floconneux nuages habitaient un ciel si vaste. Les chemins de terre serpentaient d'une maison à l'autre, encadrés par leurs murets de pierre sèche. La ferme était d'une beauté austère avec ses pierres couchées et ses lauzes sombres, elle n'offrait ni eau courante, ni électricité, ni toilettes mais que de merveilles j'allais y explorer !


Premier rituel, le puits, adossé à un mur il présentait une petite alcôve où les poules aimaient pondre. Avec quelle fierté je portais, tels des trophées, ces œufs encore tièdes. Le deuxième antre aux trésors était dans l'étable mais il était trop bien gardé par les cornes d'imposantes vaches blondes qui me regardaient de leurs grands yeux ourlés de cils. Je ne m'y aventurais jamais seule. Le dernier lieu de ponte était sur les vastes pierres rondes qui chapeautaient les pieds du séchoir à grains et à salaisons. Je devais me hisser sur la pointe des pieds pour explorer à l'aveuglette ces petites plateformes. Ce fut ainsi que je fus confrontée au premier drame de ma jeune vie ! Un nid d'oiseau se cachait là et je le renversai sans le vouloir. Les œufs minuscules furent irrémédiablement perdus !


Pour sécher mes larmes ma grand-mère me mit entre les mains un petit pain tout rond, fourré de chorizo. Comme il sentait bon ! Elle venait de le sortir du four en même temps que les larges miches plates de sa fournée hebdomadaire. 
Puis je suivis cette femme frêle mais d'un courage entêté jusqu'à la rivière, ma main dans celle de ma mère fièrement entourée de ses deux enfants. Là, sous les châtaigniers, les femmes lavaient leur linge à grands éclats d'eau claire et d'échanges enjoués. Chacune voulut nous dire un petit mot gentil, ma mère, heureuse, souriait à la sienne tout en participant à la rude tâche. Mon frère se mit à construire un petit barrage sur l'eau et je joignis mes compétences d'aînée aux siennes.
La lessive faite il fallut remonter. Sur ces terres on passait son temps à monter ou à descendre. Chacune portait sa corbeille sur sa tête, en équilibre sur un coussinet. Je trottais derrière elles, fière de porter la planche à laver, mon frère exhibait  le savon.

 

Le savon est tombé. Une bulle, puis deux, plein de bulles multicolores se sont mises à danser autour de nous. Le sentier s'est vidé, les femmes ont disparu dans ses méandres, leurs paroles, les rires des enfants sont restés en morceaux épars d'une branche à l'autre puis peu à peu, ils se sont éteints.
La forêt est restée. En elle brillaient, tout embrouillés, tant de fils.

 

Le temps a glissé sur ma peau comme un galet. Il m'a façonné, il m'a fait grandir, embellir, enfanter à mon tour puis usée tant et si bien que toutes ces merveilleuses cellules qui me constituaient ont rompu le pacte secret et magique qui les liait. Elles se sont dispersées. Mon écran intérieur s'est disloqué : plus de sons, plus d'images, plus d'odeurs, plus de goûts, plus de caresses.
Je ne suis plus là mais elles, sont toujours là, dans ce brin d'herbe qui palpite, dans cette fleur qui se tortille entre les pierres, dans cette graine qui vole emportée par le vent, dans le cri de cet insecte qui appelle sa belle, dans le bec de ces oiseaux qui picorent des cerises, dans ces  minuscules souris aveugles qui cherchent à téter leur mère.

 
Je ne suis plus là mais la vie conduit avec le même entêtement ce projet de continuité, de transmission et de survie qui m'habitait.
D'autres cœurs que le mien battent encore. D'autres cellules transportent la vie avec obstination, amour et imagination. 
Je ne suis plus là mais une part de moi vit dans cette vie qui se poursuit.

 

Marie-Sol M. S.

 

 

La cueillette des textes est encore en cours,

très bientôt ici même encore quelques beaux fruits mûrs à succuler...

 

A suivre...

 

 

 

Toutes les informations sur les ateliers de la saison 2021-2022

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